s'en aller (photographies)

s'en aller


 série en cours, portfolio 2013-2014 : https://vimeo.com/118683028/959d511ba9

S’en aller est une série photographique débutée en 2013 qui se poursuit toujours au gré des rencontres. Constituée actuellement de 40 portraits de dos ; des femmes et des hommes de tous âges qui soulèvent leurs cheveux, laissant voir au spectateur ce qu’ils ne voient pas d’eux-mêmes et qui pourtant les révèle. Geste intime, donné, offert.

Les personnes ainsi mises en portrait éprouvent souvent des difficultés à se reconnaître tant cette image de soi-même n’est pas familière, autre. Elles sont pour ainsi dire anonymisées. À la place d’un portrait « classique » de face, paré de pose sociale, désignant le regard comme principal axe porteur de sens (le façonnage des ombres et l’effacement des défauts de carnation participent à la stratégie du regard orienté du spectateur), un portrait de dos, comme silencieux, une pose dirigée par le geste théâtralisé de la main qui hisse les longs cheveux sans réel contrôle, dans leur abondance et leur désordre. Portrait de dos qui donne à voir la nuque, les épaules, mettant en lumière la carnation. La chair est ainsi révélée par le réalisme photographique tempéré (fond neutre et éclairage neutre) : le grain de la peau, le défaut, la rougeur, le creux de la trace, le pli, le bouton, l’altération, le devenir autre. Comme une vanité dans la peinture hollandaise du XVIIè, montrant une luxueuse profusion d’apparence désordonnée, de fruits et denrées éphémères. L’existence même, son mouvement, son principe d’incertitude et de finitude. Tragique et sensuelle.

Au commencement : sans doute avais-je ces lumineuses impressions depuis l’enfance, du temps de l’éveil à l’Autre, et la bonne voix d’Emmanuel Levinas, évoquant la rencontre d’autrui dans l’expérience du visage : [...]la nuque est le visage dénudé, une pure présence, sans la contenance [...] - note griffonnée égarée, retrouvée. Le peintre Hammershoi peignant ses intimes de dos, libérant ainsi le regard du spectateur en unifiant la représentation : personnage, meubles, tentures, murs, tous de même valeur. Les réalisateurs Luc et Jean-Pierre Dardenne, à propos de Rosetta , filmé caméra «sur la nuque» du personnage : […] la nuque qui vit à l’écart du monde, du corps, en retrait de toute activité, démunie de toute possibilité de prendre, de participer, de voir, la nuque, l’innocence du corps, si secrète, si vulnérable lorsqu’elle est vue par l’autre, nécessairement l’autre, on ne voit pas sa nuque, pure chair passive dans laquelle s’écrit la souffrance d’une vie ( Luc Dardenne, Au dos de nos images). Si le titre de la série évoque quelque chose du menaçant : [...] Las ! le temps, non, mais nous nous en allons, [...] de Pierre de Ronsard, l’emploi de l’infinitif présent sonne comme un ordre donné à soi-même, une promesse de mouvement, un parfum léger de volonté.

Et voilà... : les photographies couleurs de 90 x 60 cm peuvent composer un ensemble de 9m x 2,40m (sur 4 lignes de photographies). Cette vision répétitive en quantité des portraits de personnes de tous âges, sans volonté de spectaculaire, anonymes, forment un groupe semblant s’unifier, comme une seule représentation s’en allant vers le symbolique.